Streetwear, entre appropriation culturelle et gentrification de la mode noire




STREETWEAR ET APPROPRIATION CULTURELLE
La culture urbaine dite "hypebeast"


En 2018, il est probant de remarquer que la plupart des marques de luxe ou bien affiliés au streetwear, de Fila, Champion et Ellesse à Gucci, Louis Vuitton et Balenciaga s'inspirent très fortement de la mode streetwear. La résurgence de marques afro tel que FUBU ou même Karl Kani en est la preuve sine qua non. Le streetwear domine largement dorénavant et est un style à part entière et reconnu par la société. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas. La mode du streetwear, prédominante dans les quartiers n'a pas toujours été bien vu. Replaçons les choses dans leur contexte. Le fait de "faroter" qui est un terme ivoirien signifiant une personne frimant de par son style vestimentaire de manière ostentatoire va de paire avec le rap.

Le rap étant une musique d'origine afro américaine, il est donc tout à fait normal que le style vestimentaire de la culture urbaine se corrèle avec la mode noire. La mode venant soit des gays, soit des minorités (noirs, latinos). Comme expliqué dans mon article sur les valeurs du rap, ce mouvement constitue un réel état d'esprit. Un etat d'esprit émancipatoire du modèle sociétaire. Ce fut un mouvement autour duquel les afro américains et latinos se regroupèrent dans les années 80 face à la grande paupérisation due à la politique de Donald Reagan. Les minorités issues des quartiers ont donc vu dans le hip hop un nouveau moyen d'expression.

La popularité croissante de cette musique à permis l’intégration des minorités dans la société avec le graffiti et un nouveau marqueur déterminant qu'est le style vestimentaire. Elle se décrit par le port de vêtements larges comme le baggy, baskets, casquette, durag... Aujourd'hui, ce style vestimentaire est adopté par un grand pourcentage de jeunes à travers le monde entier qu‘ils soient blacks, blancs, beurs, jaunes. Le mouvement Hip Hop touche de plein de fouet les jeunes de la rue qui considéraient auparavant que l'art était réservé à une élite.



La musique a également joué un rôle primordial en donnant au RAP ses lettres de noblesse et en ouvrant cette musique à un public plus large. Ce public était très ciblé puisqu'il comprenait les jeunes des banlieues vivant dans les cités et n'ayant pas d'accès à la culture dont les médias parlent. C'est une véritable culture qui fait maintenant partie intégrante de la culture américaine et internationale.

Cette internationalisation de la culture afro a finalement donné lieu à une appropriation culturelle accru. Je m'explique, les sociétés occidentales sont connu pour faire preuve d'un racisme systémique aberrant dans laquelle selon la situation, un noir et un blanc ne sera pas traité de la même manière. Lorsqu'un blanc tue un noir, il est classé comme malade mental et relaxé. Lorsqu'un noir tue un blanc, il est traité de voyou et mis a mort. David Banner explique bien que les policiers aux Etats Unis protégeaient les propriétés blanches des afro américains au temps de l'esclavage. Ce racisme systémique méprise la culture africaine, les locks, les braids, les durag, les habits maghrébins... Cependant ce système aime bien s'approprier dans une démarche coloniale ces cultures pour fructifier leur business sans créditer les communautés issus des minorités qui sont eux marginaliser pour leur culture.



La mode et la musique s'inspirent des autres cultures qu'elles méprisent pourtant. Prenons les exemples les plus évocateurs de Gucci et de Balenciaga ou encore Marc Jacobs faisant défilé des femmes blanches avec des locks sans que l'on aperçoive une once de femme noire lors de la fashion week 2017. Lors de la Fashion week 2018, Gucci mis en avant un homme blanc avec un turban encore une fois sans créditer la communauté sikhs. On glamourise un accessoire religieux pour le rendre tendance et en faire une œuvre d'attraction ce qui est une pratique coloniale démonstrative.


 Quant à Balenciaga, il est assez ubuesque et drôle de savoir qu'il s'agit à la base d'une marque de femmes d'ages moyens et avancés de la classe moyenne qui a subitement décidé de s'ancrer dans le style streetwear pour toucher un public plus jeune. Ceci fut possible sous l'influence du directeur artistique Alexander Wang. Balenciaga a donc décidé de s'approprier la culture. Demna Gvasalia, le nouveau directeur artistique concrétisa le travail d'Alexander Wang. Balenciaga a decidé de surfer sur la vague de la réminiscence de la mode des années 90 du "dad core" donc des accessoires du pere des années 90 celle du "ugly beautiful" avec la balenciaga triple S. Une paire à près de 700 euros réalisés en Chine.

Balenciaga Tripole S


Ensuite, Dans l’imaginaire collectif, la haute couture est associée au luxe, à la richesse, mais aussi à l’élégance et à l’innovation. Pourtant, il suffit de s’intéresser un minimum aux dessous du métier pour se rendre compte qu’elle n’a de beauté que son apparence. Pourquoi ? Parce que la haute couture, c’est aussi le dédain, le mépris et le vol des “petites gens”, à savoir la majorité de la population.

 On retrouve sur le banc des accusés, la Maison Alexander McQueen, la Maison Balmain, la Maison Chanel, la Maison Viktor & Rolf, la Maison St Laurent ou encore la Maison Gucci et plusieurs autres. Le milieu de la mode vole les styles de rue. On veut donc du style de la rue sans ceux qui y viennent car en marge de la société ou jugés comme des pestiférés trop racailleux. La gentrification (embourgeoisement, boboisation) du streetwear est assez récente. Prenons par exemple les Nike air max tuned dites TN Requin. Si elles furent auparavant affilié à une image de mec de cités, elles sont aujourd'hui devenu à la mode aupres d'une population non issu des quartiers. Encore une preuve d'appropriation. En somme, bien des marques de luxe utilisent sournoisement des travaux qui ne leur appartiennent pas et réussissent, de par leur influence, à s’approprier le mérite de créateurs initiaux. 


Le cas le plus significatif que l'on pourrait notifier est celui de Dapper Dan, un célèbre designer afro américain originaire de Harlem. Il a pour principale clientèle le milieu dit street et a designé pour des rappeurs tel que Bid Daddy Kane, Mike Tyson ou Floyd Mayweather pour ne citer qu'eux. Dapper Dan eut donc  repris un design de Gucci dans les années 90. Ces derniers menacèrent donc de l'attaquer en justice et le firent arrêter ce design. 20 ans plus tard, Gucci repris exactement le meme design sans même créditer Dapper Dan. Ils décidèrent cependant de s'associer à lui pour une ligne d’habit masculin quand une grande majorité d'internautes se sont offusqués du manque de reconnaissance de la part de la marque italienne. 

A gauche la collection oversize cree par Dapper Dan,  droite la collection Gucci reprise de Dapper Dan


Le luxe étant à bout de souffle, l'appropriation culturelle. Une astuce pour séduire la nouvelle génération des années 2000 en quete de promiscuité avec la culture urbaine signe d'irrévérence et d'insolence.  « La mode s’est toujours nourrie et se nourrira toujours des cultures alternatives. C’est l’essence même de sa raison d’être » décrypte Pascal Monfort, consultant et sociologue mode. En s’emparant de ses codes, le luxe a dépouillé l’esthétique street de son caractère subversif et identitaire. « Les jeunes d’aujourd’hui portent du streetwear pour être cool et non plus pour revendiquer une appartenance. » observe Lenny Guerrier, moitié du duo de créateurs de Nïuku. Le genre s’est lissé, institutionnalisé.


 « Mais je vois peu de créateurs avec une réelle sensibilité ‘street’ ou autre, c’est plus de l’ordre du fantasme. » L’appropriation culturelle se dessine lorsque l’on stylise et transforme la culture d’une « minorité » – à laquelle on n’appartient pas – en objet de consommation. Elle jaillit quand on réduit une histoire et une identité à des codes esthétiques superficiels, des signes extérieurs de reconnaissance stéréotypés. S'enrichir sur le dos des minorités sans même les créditer ou leur donner un minimum de reconnaissance et de représentation.

"Les Noirs, on veut bien de leur dégaine, mais pas de leurs tronches sur les défilés. Faut pas pousser."
 Le white privilège permet donc aux blancs de pouvoir s'approprier les codes urbain du ghetto sans souffrir de préjugés. Le hoodie ou pull a capuche est perçu lorsque porté par un noir comme offensant. Il couta même la vie à Trayon Martin, jeune homme noir de 17 ans tiré dans le dos car jugé comme suspect. Sur le dos des Blancs, à l’inverse, le streetwear a l’élégance cool, un genre de douce rébellion, inoffensive. Une façon de jouer les durs au cœur guimauve, les lascars dociles.

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