Booba, poète des temps modernes
Lorsque l'on parle de poètes dans la sphère française, on a tendance à penser de suite à des auteurs comme Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Jules Vernes, Paul Verlaine et consorts. Il ne viendrait pas à l'esprit que des rappeurs comme Booba ou son comparse Ali, avec qui il forma le duo Lunatic puissent être considérés comme des poètes. Booba représente un peu le cliché du rappeur par son coté matérialiste, "bling bling" et la prolifération de signes ostentatoires à outrances par ses chaines et ses "gamos". Au delà de cette représentation caricatural du MC, Booba est un rappeur qui rassemble comme il divise par ses textes tranchants et incisifs. Il amène un panel de punchline imagé et violente qui définissent aussi parfaitement sa personnalité : anticonformiste et ambitieux.
A contrario, le français moyen verra en MC Solaar, lui aussi rappeur comme un poète des temps modernes, un illustre auteur amenant sa luminosité sur le rap français et la musique française de manière plus générale. Booba quant à lui est et a toujours été perçu comme une énième bête de foire, le parangon ultime de la dictât capitaliste et épicurienne, les putes, le cash et la rue. S'il n'est pas reconnu à sa juste valeur, c'est avant tout pour la vulgarité de ses textes. Difficile de rentrer au panthéon de la musique française lorsque l'on a des phases comme : "Va te faire niquer toi et tes livres" - Lunatic - Hommes de l'ombre.
Il est l'archétype du mec de la banlieue ne lisant pas de livres et préférant s'instruire sur du Wu Tang Clan, du Nas et du Mobb Deep, ce qui n'est bien évidemment pas dans les mœurs françaises mais plutôt un groupe de niches. Rappelons que dans les années 90 2000, le rap était vu comme une sous culture et ne disposait que de quelques heures d'émissions spé sur Générations par exemple. Difficile donc d'y faire son trou et d’être considéré comme un artiste à part entière. Booba est musclé, métisse, grand, prône l'individualisme et la luxure de manière outrancière, plus ou moins normal qu'il ne puisse pas être considéré comme un grand auteur Français quand ceux ci sont tout l'opposé : Chétif, gringalet, prônant la misère. Booba est la figure diamétralement opposé au poète torturé. Son intonation est forcée et impertinente, grivoise et hargneuse à la fois.
Cet accent respirant la banlieue est aussi souvent caricaturé par des personnes néophytes ou non initié à ce milieu. comme Florence Foresti.
Il est perçu comme un cliché, un OVNI voir un génie incompris. La grande force de Booba est d'amener rapidement des images à travers ses textes.
"Ma jeunesse à la couleur des trains, RER C, pendant le trajet je rêvais de percer"
Le Rer C, train connu par la banlieue parisienne, sa jeunesse tout comme ce train, grise, sale monotone et répugnante voir même acariâtre. Cette adéquation entre objets, les émotions et les idées est ce que Baudelaire appelle l'Universelle analogie. Les connexions qu'un poète créer, les images qu'il renvoi ainsi que les émotions qu'il transmet. Cela représente l'essence de sa poésie. C'est cette méthode qu'utilise Booba.
"Quand j'écris j'ai souvent des flashs, et j'écris comme ca, c'est très visuel, comme du cinéma". Booba définit lui même son rap comme poétique et violent, tout comme la vie.
Booba détient de par son écriture l'art et la manière d'amener des sujets de façon subtile et cru à la fois. Par exemple, il ne dira pas "nique la police" mais plutôt : "j'ai roté mon poulet rôti et craché deux ilotiers". Il ne dira pas non plus je suis fou mais : "j'ai des piranhas dans le bocal en jouant sur l'expression être agité du bocal."
Booba sait aussi se faire croiser les lieux et les époques au travers de sa syntaxe volontairement maladroite lui donnant ainsi sa particularité. A l'instar de rappeurs qui s'inspirent de lui comme Joke ou Freeze Corleone, on retrouve dans ses textes d'innombrables références à la culture urbaine, aux films comme Scarface ou le parrain, aux séries comme Oz (il se compare à Adebisi dans Bakel City Gang) ou cites souvent la série iconique des années 2000 The Wire (Je suis Marlo Stanfield ta mère la hyène t'es Mcnulty).
Là ou un artiste comme Renaud Sechan décrivait son mal de mer en disant : "C'est pas l'homme qui prend la mer c'est la mer qui prend l'homme" Booba le recontextualise en disant "Frelon, 400 ans c'est trop long, c'est pas la mer qui prend l'homme c'est Christophe Colomb" en dénonçant ainsi 400 ans d'esclavages restés impunis. La phase devient donc politique et revendicative. Il va par la même occasion sampler le mistral gagnant du même artiste avec le son Pitbull. Mistral gagnant étant un titre mélancolique rappelant l'enfance de Renaud par le biais de confiseries. Pour Booba, cela devient de suite plus sombre, les douces confiseries se transformant en une imagerie de sucrerie racistes : "Venu extraire Excalibur de son enclume en 6.43 j'suis le bitume avec une plume, tout commence dans la cours de récréation, Malabar Choco BN sale noire ma génération." Les souvenirs innocents de l'enfance sont donc chamboulés pour rappeler la dureté de son enfance.
Booba décrit son écriture comme à prendre à un degré 5. Chacun est donc libre de l'interpréter à sa manière. Ses textes prennent donc une toute nouvelle ampleur en les réécoutant attentivement et en vivant ses propres expériences de vie. Ce n'est pas pour rien si son premier album solo temps mort est une référence en terme de rap Français.
Malgré cette reconnaissance venant du milieu de rap en grande partie. Il refuse d'accepter ces lauriers au contraire d'un MC Solaar ou d'un Oxmo Puccino. Il se décrit comme un macaque et sait pertinemment que la pugnacité de son art ne sera jamais reconnu à sa juste valeur dans une société occidentale qui n'a cure des questions raciales ou des jeunes de banlieues. "La juge m'a dit pourquoi t'as fait ça : Ounga Ounga Ounga Ounga".
En somme, la plume de Booba passe donc par un chemin non linéaire, suivant la théorie des pli de Deleuze en étant protéiforme. On passe par un enchainement d'idées et d'images dressant une toile simple et complexe à la fois.
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